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Mohamed Basri: interview avec l'hebdomadaire Afrique-Asie

Aux  réquisitoires du procès de Kénitra  qui s’était ouvert le 25 juin 1973 suite aux événements de mars de la même année, plusieurs combattants seront condamnés à mort et exécutés. Mohamed Basri dit le Fqih, figure emblématique du Tanzim, branche armée de l'UNFP, sera encore une fois condamné à mort par contumace. En hommage à celui qui fut l’un des grands résistants contre la colonisation et un grand opposant au roi Hassan II, nous partageons avec vous une fiche de lecture de l’interview qu’il avait accordée  le 15 mars 1982 à Simon Malley, directeur de la Revue Afrique – Asie. Cette interview eut lieu moins d’un an après les événements sanglants de juin 1981 et moins d’un an avant la mort controversée du général Ahmed Dlimi.

 

QUELLE RIPOSTE DES FORCES PROGRESSISTES ARABES FACE AUX LIENS DE L’IMPÉRIALISME AVEC PLUSIEURS PAYS ARABES ?

Notre arme absolue ce sont nos peuples.

Pour Mohamed Basri, pour riposter,  « Il faut d'abord que le Mouvement national arabe de libération sorte lui-même de l'impasse dans laquelle il se trouve ». Selon lui, cette impasse a plusieurs causes, la principale étant liée aujourd’hui « au domaine de la culture ». A savoir que le Mouvement National arabe devrait s’approprier les éléments objectifs et subjectifs capables de créer une dynamique  et développer  rigueur et cohérence : «  C’est ce qui ordonne ensuite les étapes, précise les besoins, initie les cadres et éduque l'homme dans le déploiement rigoureux, et connu de tous, d'une véritable stratégie.»

Pour Mohamed Basri, les ripostes progressistes dans un pays ne peuvent être envisagées sans tenir compte de celles des progressistes des autres pays. Les leçons de l’histoire montrent qu’il est indispensable de consolider les liens entre les progressistes des pays arabes.
Une riposte efficace des forces démocratiques «  nécessite un soutien résolu, voulu et ressenti par les autres parties arabes ». Sans ces liens, l’hégémonie impérialiste se déploie dans le monde et  « elle a son centre et ses satellites ». Selon lui, l’impérialisme déploie ses satellites dans le monde, en particulier dans le monde arabe : il a réactivé les bases américaines au Maroc et ne tardera pas à les implanter dans les pays du Golfe. « ce choix relève exclusivement du droit du centre, lequel, par ses incessants émissaires, aura  tissé les fils, noué la trame ». Mohamed Basri se réfère aux différentes visites dans plusieurs pays arabes du  secrétaire  américain de la Défense pendant que son collègue du Département d’État « s'efforce de donner l'image de la respectabilité diplomatique à des entreprises ».  Il souligne le rôle d’Hassan II pour introduire Kissinger dans la région et les différents conflits qui s’en sont découlé dans bien des pays du Monde arabe.

Cependant, dira-t-il, les moyens bien utilisés des ripostes existent, et « notre arme absolue, ce sont nos peuples. Sans leur irruption dans la vie du pays, sans leur participation à la décision, rien ne pourrait se faire ». Et ce, sans nationalisme étroit ni chauvinisme qui facilite les stratégies impérialistes et néocoloniales. Il est, selon lui, indispensable de faire prendre conscience aux peuples de la trahison des dirigeants.

 

LES NÉGOCIATIONS ENTRE RABAT ET WASHINGTON SUR LA  RÉACTIVATION DES ANCIENNES BASES  AMÉRICAINES AU MAROC ?

Il n'y a, à mes yeux, aucune justification réellement militaire à cette présence.

Mohamed Basri rappelle la position du Mouvement National sur cette question qui considérait que la présence de ces bases militaires était une atteinte à la souveraineté nationale du Maroc. A l’indépendance, le parachèvement de la libération  nécessitait le retrait de ces bases. En 1960, au moment du gouvernement Ibrahim, en accord  avec Mohamed V, il était question que les États Unis évacuent ces bases. Il rappelle les différents retraits des forces étrangères qui ont quitté: « les bases de Bengrir, Nouasser, Bouknadel, Sidi Slimane, ainsi que la base navale de Kénitra --- qui, du reste, ne fut complètement évace qu'en 1976

Il souligne qu’une bonne partie des pays arabes partageaient le sentiment de leur non maturité exprimée par le secrétaire d’État américain Foster Dulles. La trahison de ces pays aura pour conséquence le déplacement du  pôle d'intérêt des Américains, « et c'est en Israël et dans l'Iran du Chah que l'Amérique ira chercher les puissants bastions destinés à maintenir sa présence dans la région ». Aujourd’hui, ajoute- t-il, qu’attendre de cette politique qui «  pour juguler et encercler le monde arabe, s'appuie sur le même Israël et un nouveau venu, le Maroc ?».

Quant à penser que ces présences américaines ont pour objectif politique la défense des libertés, «  l'Amérique est en bien mauvaise posture pour justifier, comme en Pologne ou ailleurs, qu'elle est là pour défendre le droit des peuples ». Les États Unis répondent à des impératifs intérieurs et régionaux :

  • Par ces accords, le régime absolu au Maroc, au moment où  il est de plus en plus isolé, cherche le soutien des États-Unis. Mohamed Basri fait allusion aux coups d’État de 1971 et 1972 et les insurrections de mars 1973.
  • D’un autre côté, la présence américaine au Maroc chercherait à contrebalancer « l'influence soviétique en Libye ».

Faut-il contrebalancer ces accords américano-marocains ? Pour Mohamed Basri, d’autres accords avec l’URSS ou la France de Mitterrand signifieraient que «  l’on a perdu confiance en soi ». Seule la volonté du peuple marocain pourrait se débarrasser de ces bases militaires essentielles dans ces accords.

Quant à une médiation souhaitée par HassanII entre lui et l'Algérie, Mohamed Basri répond que la route qui mène du Maroc à l’Algérie passe par Oujda et non par Paris ou Bruxelles.          

« Pour stimuler une coopération avec la France, il faudrait que cette dernière se libère totalement de tout ce néocolonialisme. » La vraie solution au problème réside selon Mohamed Basri, dans l’entente entre les peuples algérien et marocain. La France socialiste de Mitterrand devrait se débarrasser de cette tentation néocoloniale pour pouvoir avoir une place dans la région. Elle aurait aussi pu en garder une dans le Monde arabe « si sa position  évoluait avec plus de justesse et de justice à l’égard de la cause palestinienne ».

Le colonialisme comme le néocolonialisme a établi des frontières artificielles et « élevé un mur psychologique entre nos peuples ». Et, ajoutera-t-il  « l’affaire du Sahara aurait pu fournir l’occasion d’abattre tous ces obstacles ».

 

QUELLE RECONNAISSANCE DE L’AUTODÉTERMINATION DU PEUPLE SAHRAOUI ?

L’avenir du Maghreb est dans son unité, une unité des peuples.

Mohamed Basri espère que l’affaire du Sahara ne puisse pas « occulter le fond du problème ». L’Amérique veut protéger le régime marocain. Cette affaire permet à ce régime de « paralyser les énergies nationales, mobiliser l'opinion intérieure, régionale et mondiale autour de la question ». C’est pour cette raison, dira-t-il que l’avenir du Maghreb est dans son unité, « une unité des peuples ».

Mohamed Basri affirme son accord  pour « l’autodétermination par rapport au régime monarchiste », un régime contre lequel tous les marocains et sahraouis se sont battus depuis longtemps. Il souligne que l’entité nationale sahraouie est intervenue au moment où l’impérialisme tente de balkaniser le Monde arabe. Mohamed Basri revient sur sa profonde conviction, celle de l’union des peuples du Maghreb qui pourra « faire sauter les frontières existantes ».

Il énumère alors la situation de balkanisation dans le Golfe permettant de créer un barrage pour l’action des palestiniens. Tout en ne sous-estimant pas les sacrifices et capacités des militants sahraouis, il considère que ceux-ci devraient reconsidérer la voie qu’ils ont choisie, « C’est-à-dire faire du Sahara une base arrière pour libérer le Maroc et une armée d’avant-garde pour cette libération. » Ceci, d’autant plus que l’affaire du Sahara, au  lieu d’affaiblir le trône, l’a sorti de son isolement par  rapport à l’armée et aux partis politiques : « cette affaire a donné un nouveau souffle au régime de Rabat. Le pouvoir n'aurait pas survécu à ses contra dictions internes ni résisté aux soubresauts qu'il a subis dans le début des années 1970 s'il n'y avait pas eu l'affaire du Sahara ».

 

FAUT-IL CONSIDÉRER DÉSORMAIS L’ARMÉE COMME UNE FORCE PATRIOTIQUE ?

L’armée est devenue un opposant potentiel, surtout si la guerre du Sahara venait à prendre fin.

Mohamed Basri rappelle, auparavant, les transformations dans l’armée Marocaine depuis l’indépendance : constitution des  noyaux de l’armée pour « protéger le trône contre le peuple ». L’appellation « d’armée d’opérette » par l’Union Nationale des Étudiants du Maroc a été reprise dans le journal El-Thrir dont Basri était directeur. Ce qui lui valut d’être incarcéré. Il rappelle la répression subie en mars 1965 par l’armée qui a tiré sur certains membres de leur famille. Avec la recrudescence de la répression, « il est apparu à l'armée qu'on lui faisait jouer un rôle qui n'était pas le sien. Cette armée commença donc à se transformer et même à envisager les moyens de se venger pour avoir été obligée, souvent, de tirer sur l'un des siens, un cousin, un parent…. ». Selon lui, l’armée serait devenue une force d’opposition. Ce qui amena le roi à mettre certains militaires à la retraite, à les envoyer au Golan ou au Sinaï ou dans d’autres pays du Golfe, pays satellites des États-Unis. Cette opération du pouvoir a un double objectif :

  • Le pouvoir démantèle et en tire « un avantage financier » tout en offrant «  une surveillance « sûre » des champs pétroliers ».
  • D’un autre côté, il remplace ces régiments par des soldats américains «  jugés plus sûrs surtout après ce qui s'est passé en Égypte (l'assassinat de Sadate) ».

 

LORSQUE VOUS  REGARDEZ LE CHEMIN PARCOURU, QUEL SENTIMENT ÉPROUVEZ-VOUS ?

L'avenir appartient à ceux qui, aujourd'hui, marchent avec tous ceux qui luttent. 

Mohamed Basri considère que tout son parcours de résistant et d’opposant au régime monarchique a été « de contribuer à forger une stratégie d'union nationale capable de transformer les réalités politiques, économiques et sociales de mon pays ». Mais, ajoutera-t-il, « je ne suis pas convaincu que les différents appareils politiques (les partis) reflètent réellement les vraies sensibilités politiques de la société marocaine d'aujourd'hui ». Dans la lettre manuscrite en arabe et traduite par la suite en français qu’il avait envoyée à Abderrahim Bouabid et Abderrahman El Youssoufi en Août 1974, après avoir mentionné l’élan réactionnaire au Maroc comme dans le monde arabe, Mohamed Basri soulignait déjà que cette situation n’était pas « due à la puissance du régime, mais au fait que le Mouvement National et notre parti, qui disposent de grands canaux d'influence sur les événements, ne sont pas à la hauteur de cette mission tant sur le plan organisationnel qu'au niveau de leur orientation. »

Dans cette interview, il constate que dans les grands moments, les cadres des Partis politiques, éloignés du peuple « sont souvent hésitants et ne savent pas toujours de quel côté se ranger ». Ils contribuent, selon lui, à pérenniser et sauvegarder les positions du régime en plaidant auprès de lui « la modération dans la pression ou la répression contre le peuple ».

Cependant, selon Mohamed Basri, une génération plus jeune commence à émerger. Celle-ci devrait  s’approprier les combats des luttes passées, mais « elle doit aussi prendre garde à tous ces vieux marchands de sueur, de larmes et de sang qui, au nom du passé des autres, tenteraient de conserver la mainmise sur le mouvement ».

 

QUELLE ÉVOLUTION DE L’AFFAIRE PALESTINIENNE ?

Ni les régimes arabes ne sont le produit de la volonté de leurs peuples ni Israël n’est le fait des juifs de Palestine.

Pour Mohamed Basri la création d’Israël est l’œuvre de l’impérialisme qui voulait isoler les Arabes d’Afrique et d’Asie. « Israël a été édifié sur une terre arabe par la mauvaise conscience européenne et pour contenir l'élan du mouvement national Arabe. » Il met l’accent sur l’incapacité depuis 1960 des pays arabes à s’investir pour libérer la Palestine. Selon lui, l’émergence de la Révolution Palestinienne est une réponse à cette incapacité « non seulement de libérer la Palestine mais aussi de conduire le mouvement d'émancipation nationale dans leurs propres  pays ». Il souligne qu’Israël n’est pas « le fait des juifs de Palestine. Et la situation actuelle ne peut évoluer vers ces objectifs qu'à travers un climat révolutionnaire authentique ».

 

 

Cette interview a 40 ans ! Que l’on soit en accord ou en désaccord avec des positions défendues lors de cet entretien, toutes ces questions sont toujours posées :

En ce qui concerne les bases militaires américaines qui maintiennent le peuple marocain dans la dépendance de l’étranger, le nouveau président américain Joe Biden chercherait à revoir le déploiement des troupes américaines au Maroc. On mentionne comme possibilité Tan Tan, Iznegane et Ben Guerir. 

Comme le disait Mohamed Basri, l’Amérique « est en bien mauvaise posture pour justifier, qu'elle est là pour défendre le droit des peuples ». Elle cautionne les atteintes aux droits humains, la politique liberticide employant intimidation et violence et l’impunité érigée en système. Sans oublier que, depuis en particulier 2001, elle s’arroge le rôle « d’éducation à la démocratie » en intervenant contre les décisions du Conseil de sécurité de l’ONU pour envahir l’Irak et développer les batailles fratricides et l’hégémonie islamiste.

« L’avenir du Maghreb est dans son unité, l’unité des peuples », disait-il dans cet entretien. Cela rejoint les positions que Mehdi Ben Barka rappelait et inscrivait dans son parcours. "L’union préalablement à tout le reste-mais pas n’importe laquelle" écrivait Ahmed Ben Bella suite l’occupation du Liban en 1982, "devient la condition impérative autour de laquelle il convient de mettre en faisceaux nos énergies, nos intelligences, nos ressources physique et humaines. » Ne faudrait-il pas aussi s’approprier une culture de l’union au sein de chaque pays, une véritable union démocratique du Mouvement progressiste ?

En ce qui concerne les populations palestiniennes expulsées de leurs terres annexées par Israël qui, comme on le lit dans cet entretien « a été édifié  sur une terre arabe par la mauvaise conscience européenne et pour contenir l'élan du mouvement national Arabe », leur résistance héroïque n’a pas empêché progressivement Occident comme pays arabes de renforcer leur relation avec Israël. L'un des derniers évènements en date est l’officialisation de ces relations avec le roi Mohamed VI pendant la pandémie sanitaire avec la « médiation » des Etats-Unis.

« La cause palestinienne largement soutenue à l’époque de par le monde, a été savamment occultée par le Goliath local, bradée par les régimes des faux frères arabes, et en bonne partie abandonnée par ce qu’on appelait dans le temps « la rue arabe » ». Abdellaatif Laabi « anthologie de la poésie palestinienne aujourd’hui »- Points 2022.

L’assassinat abject, le 11 Mai 2022, de la journaliste palestinienne Shireen Abu Akleh par l’armée israélienne dans le camp de réfugiés de Jénine alors qu'elle y couvrait pour Al Jazeera un des nombreux raids de l'armée israélienne a mobilisé l'opinion internationale. La communauté internationale a été "choquée" par  la charge de l’armée israélienne lors de ses funérailles.

Mais, cette Communauté internationale décidera-t-elle de sanctions contre l’Etat d’Israël et sa politique d'annexion de territoires Palestiniens? Cet Etat restera-t-il indéfiniment impuni pour ses crimes à l’encontre des populations Palestiniennes ?

 

   

Pour Maroc Réalités

Hayat Berrada-Bousta