Maroc Réalités
مغرب الوقائع

Mohamed Ben Saïd Aït Idder: interview avec le journal Maroc-Hebdo

En hommage à Mohamed Ben Saïd Aït Idder, ancien résistant contre le colonialisme français et opposant à un Etat de non droit, nous vous proposons une fiche de lecture d’une interview qu’il avait accordée en octobre 1996 à la publication Maroc-Hebdo, en tant que secrétaire général de l’OADP, au sujet du vote référendaire sur la constitution.

De la clandestinité à l’exil, Mohamed Ben Saïd a toujours privilégié l’union des forces démocratiques. Il avait différents échanges sur ce sujet avec Abdelghani Bousta, qui avait publié plusieurs articles sur ce thème. Malgré leurs différences d’approche, leur relation a toujours été marquée par une réciprocité et un respect mutuel dans l’engagement pour l’urgence de l’union des démocrates.

Cette interview, au-delà du vote référendaire, est aussi une interrogation et une réflexion sur le sens que l’on donne à toute union de la gauche.

 

 

Q :  L’OADP s’est mise en marge du consensus. Votre Parti a-t-il encore une existence politique ?

- « Le principe d’un référendum n’est pas d’aboutir à un plébiscite » répond Mohamed Ben Saïd.

Pour lui, l’OADP n’est pas en dehors du consensus et la constitution garantit le droit à la liberté d’expression. « Il y a le "oui" et il y a "le non" ».

Q : Le consensus autour de cette révision a quelque peu marginalisé votre organisation…

- « C’est le ministre de l’Intérieur qui a parlé de consensus au lendemain du vote ». Ceci, rajoutera-t-il, en ignorant les votes de la non-participation qui « croyez-moi, ont été nombreux ». Quant au ministre de la Communication, il avait déclaré « que la minorité ne pèse pas grand-chose dans les résultats de cette consultation ».

Mohamed Ben Saïd déplore cette marginalisation de la part des deux ministres. Un comportement qui « va à l’encontre de la démocratie et de la pluralité ».

Q : Ces positions qui vous ont placés à l’extrême gauche…

- Mohamed Ben Saïd clarifie la position de l’OADP en répondant : « nous nous considérons un partenaire de la Koutla…Notre action s’inscrit dans un cadre démocratique et multipartite. »

Q : la position pour la non-participation n’a-t-elle pas diminué le poids de l’OADP sur l’échiquier politique ?

  - « Nous ne nous donnons que le poids qui est le nôtre », répond Mohamed Ben Saïd qui souligne les témoignages de sympathie que l’OADP avait reçus. Et, « l’OADP n’est pas isolée. De plus, nous exerçons toujours notre activité au sein de la Koutla ».

Concernant la question sur la gêne qui aurait été créée au sein de cette Koutla dont les autres partis ont appelé au "oui", Mohamed Ben Saïd rappelle que lors de différentes consultations référendaires, « la Koutla n’a pas pris une position unique ».

Il en donne deux exemples : 1989 au sujet du prolongement du mandat du parlement de deux ans. (L’OADP et l’USFP ont dit oui alors que l’Istiqlal a laissé à ses militants la liberté de vote). La révision constitutionnelle de 1992 où seul le PPS avait pris position pour le oui. Et, « malgré cela la Koutla en tant que cadre de concertation a continué à fonctionner ».

Q : Sur quels éléments vous vous êtes basés pour appeler à la non-participation ?

- Les approches de réforme constitutionnelle, répond M. Ben Saïd, concordent au sein de la Koutla. Cependant, les amendements proposés posent un problème : « Pour nous, la deuxième chambre va entraver le fonctionnement du Parlement et le travail du pouvoir exécutif. »

 En ce qui concerne les autres partis, souligne-t-il, s’ils ont voté pour cette révision, c’est dans l’espoir de transparence des prochaines élections. « Un pari sur l’avenir. Ceci dit, nous sommes partants pour le même pari ».

À la question de savoir si la position de l’OADP était la bonne, Mohamed Ben Saïd considère qu’il ne pourrait y répondre qu’après la mise en œuvre effective des amendements constitutionnels. « Attendons donc pour juger sur pièce ».

Q : Les éléments sur lesquels vous vous êtes basés se sont-ils avérés justes ?

 - « Le Maroc a besoin d’une constitution qui soutienne la comparaison avec celles universellement reconnues » Mohamed Ben Saïd insiste sur le fait que le projet de constitution n’abonde pas dans ce sens. « Nous n’avons pas relevé assez d’éléments dans le projet de constitution qui puissent nous porter à la soutenir ». Cependant, ajoute-t-il, une fois la constitution votée, « nous la respecterons »

Q : L’OADP donne l’impression de ne pas être préparée pour le pari dont vous parlez. Ce pari a-t-il donné des résultats ?

Le Mouvement National, répond Ben Saïd, a déjà fait ce pari depuis 1989.  En ce qui concerne les résultats, il y en a eu « mais en deçà des ambitions actuelles du pays ».

Cependant, ajoute-t-il, « nous espérons que la suite des évènements montrera que nous nous sommes trompés ». Alors « nous feront notre mea culpa ». Mais cette phase d’autocritique est prématurée au lendemain de ce vote référendaire. « La vraie bataille est celle de la transparence des élections »

Maroc-Hebdo revient sur l’isolement de l’OADP en raison de la scission du groupe du " oui " .       

- C’est bien le contraire selon le secrétaire général de l’OADP, au regard de l’approbation parmi les couches de la société. « Notre position sur la réforme constitutionnelle reflète un sentiment réel parmi de larges couches de la société. »

D’autre part, ajoute-t-il, au sein même des partis de la Koutla « les propositions sont nuancées. Cependant leurs militants se sont pliés au verdict de leurs instances. Mais « à l’intérieur de l’OADP, il existe des courants d’idées qui s’expriment en toute liberté ».

Q : Le leader de l’OADP n’a pas pu convaincre ses troupes ?

- « Je ne suis pas un officier de l’armée » mais un « responsable démocratiquement élu par mes camarades ». Plusieurs courants ajoute-t-il, existent au sein de l’OADP qui « s’expriment en toute liberté ».

Q : les partisans du "non" seront-ils poussés vers la sortie et la scission ?

- En cas de divergence, la minorité peut défendre son point de vue à l’intérieur des instances et « même sur les colonnes de presse du Parti ». Il souligne qu’au sein de l’OADP la pratique de la démocratie est plus avancée que dans les autres partis de la Koutla et « une des formes de cette expression démocratique consiste à recourir au référendum interne pour trancher une question déterminée ».

Mohamed Ben Saïd donne l’exemple de la consultation référendaire de 1989 sur la prolongation du parlement pour deux ans. « La décision du vote par oui a été prise à la majorité d’une seule voix dans le Comité Central. Cette voix était la mienne ».

Q : La nouvelle constitution est-elle en régression par rapport à la précédente ?

- Pour Mohamed Ben Saïd, il aurait été souhaitable de supprimer en 1992 le 1/3 indirect. Or, en 1996, il a été remplacé par une deuxième chambre.

Maroc-Hebdo  revient sur la question de scission au sein de l’OADP

- Mohamed Ben Saïd rappelle les efforts faits au 3ème congrès pour un travail démocratique, pour que les jeunes prennent leurs responsabilités et éviter « la gérontocratie politique ». Il regrette qu’une fraction soit sortie de l’OADP de son propre gré « mais je ne regrette pas le départ de quelques-uns. »

Il rappelle que certains de ceux qui avaient quitté l’OADP avaient été sollicités par différents médias (télé et radios) afin d’étouffer l’OADP.  Des appareils qui « veulent imposer le « oui » à tous. Autrement dit la pensée unique ».

Q : Vos partenaires de la Koutla ne vous ont pas témoigné un soutien chaleureux et explicite.

- « Ce n’est pas vrai ». Mohamed Ben Saïd souligne que ses partenaires les avaient soutenus et avaient témoigné publiquement leur solidarité à l’instar de Ali Yata et Boucetta mais les évènements se sont accélérés à la suite de la plainte déposée par ceux qui se sont retirés de l’OADP : « notre journal a été arrêté par une procédure en référé ». Il met l’accent sur la rapidité de cette décision. Une décision qui met à l’épreuve « la liberté d’expression et l’autonomie de la justice ».

Malgré les efforts des partenaires pour que ce groupe retire sa plainte, ce dernier a choisi la scission et « il doit assumer ses responsabilités ».

Mais, ajoute-t-il, l’essentiel est que l’OADP est résolue à aller jusqu’au bout du processus politique en cours en participant avec la Koutla aux élections législatives et aux « différentes phases du processus démocratique. »

Q: L’OADP a deux députés, vous-mêmes et Abdessamad Belkebir. Comment s’organisera la coordination ?

- « L’un de nous deux a perdu son appartenance à l’OADP ».

Soit, répond Mohamed Ben Saïd, il deviendra député sans appartenance, soit il peut toujours rejoindre l’OADP, soit « joindre une autre formation, créer son propre parti… ». Cependant, s’il intervient au Parlement au nom de l’OADP « nous le dénoncerons ».

Q : Et l’affaire du journal Anoual ?

- M.B souligne qu’en ce qui concerne le journal Anoual, une plainte a été déposée. « En tout cas, notre présence sera toujours réelle sur la scène médiatique, avec Anoual, Al Anouar ou un autre organe de presse ».

Q : Quel bilan de votre position de « non » sur le vote référendaire ? Qu’avez-vous gagné ?

- Mohamed Ben Saïd clarifie que la position n’est pas le "non" mais la "non-participation" exprimant des réserves vis-à-vis du texte et « nous avons gagné le soutien d’une large partie de l’opinion publique. » Il déplore que les divergences ne soient pas restées en interne comme expressions démocratiques de chaque militant de l’OADP. « Nous n’avons pas choisi la division…Mais la porte de l’organisation restera toujours ouverte ».

Q : Votre position est-elle un pari risqué ? Cela mettra l’OADP, en cas d’alternance, dans « le camp de l’opposition par rapport à vos partenaires actuels qui serait au gouvernement ».

- En soulignant que chacun a ses propres positions, Mohamed Ben Saïd clarifie que l’action de l’OADP « s’inscrit dans le cadre d’un consensus historique et non de conjoncture ». Pour lui, dans le cadre d’un consensus, les « divergences de conjoncture ne peuvent que renforcer la démocratie au Maroc ».

Au sujet de ses réserves sur le projet constitutionnel et en attente de la mise en œuvre des amendements, Mohamed Ben Saïd conclut « nous souhaitions nous être trompés pour le bien de notre pays. »

 

*             *

*

 

Cette conclusion résume la dimension personnelle de Mohamed Ben Saïd Aït Idder et caractérise le sens même de son engagement de longue date pour la démocratie.  Et ce, quelle que soient les positions que l’on a de la constitution même de la Koutla et des choix de vote de ces propositions de réformes constitutionnelles.

L’humilité et l’ouverture d’esprit sur la nécessaire liberté d’opinion sont au-delà d’une approche conjoncturelle. Ce sont les attitudes nécessaires pour que les choix de droit et de liberté ne soient pas marqués par de l’opportunisme. Certes, saisir des opportunités pour avancer n’est nullement condamnable mais il est nécessaire d’en faire une évaluation après la mise en œuvre, et éventuellement une auto-critique.

Notons que d’entrée dans cette interview, la première question posée par le journal Maroc-Hebdo ne se rapporte pas sur les raisons du choix de vote de l’OADP mais porte, auparavant, un jugement sur ce choix et interroge « votre Parti a-t-il encore une existence politique ».

Pourquoi s’attarder aux propositions de réforme constitutionnelle auxquelles l’OADP et d’autres partis d’opposition n’ont pas voulu participer en raison de l’amendement apporté par l’inscription, dans la constitution, de deux chambres aux prérogatives quasi identiques ?

Peu importait pour ce journal…

Cependant, n’oublions pas qu’en décembre 1997 (N°299 - décembre 1997 - Page 9), un an après cette interview et moins d’un mois après les élections législatives du 14 novembre 1997, pour l’éditorialiste de ce journal, la démocratie est ravalée au rang des statistiques. « Notre processus démocratique n’a strictement aucune vocation à remplacer la légitimité de nos institutions par une légitimité sortie des urnes. Nos valeurs monarchiques sacrées sont une chose et la méthodologie démocratique en est une autre. La seconde ne peut se substituer à la première. L’une est de nature statistique, l’autre est de nature historique et multiséculaire. Il n’y a aucun interstice dans lequel une quelconque surenchère politicienne peut se faufiler » ...

Tout est dit et nous comprenons toute cette démarche d’interview avec un Parti qui a trouvé l’interstice pour se faufiler et qui a clarifié une position différente, faisant savoir sa légitimité d’une liberté d’expression. Pour ce journal, il fallait déstabiliser Mohamed Ben Saïd, et celui-ci ne s’est pas laissé prendre.

Cette interview, au-delà du vote référendaire, est aussi une interrogation et une réflexion sur le sens que l’on donne à toute union de la gauche, aux convictions de chacun sur la nécessité de la démocratie interne.

Et des questions se bousculent sur les capacités d’un Etat de non droit à respecter la logique démocratique quelque peu.

Quelles évolutions de cette « avancée démocratique » dans notre pays ? Certes, il y en eut grâce aux différents mouvements progressistes et de Droits humains. Mais comme le disait en 1996 Mohamed Ben Saïd « en deçà des ambitions actuelles du pays ». Et surtout en deçà des sacrifices endurés par ceux qui ambitionnaient et ambitionnent toujours de voir un Maroc démocratique.

 

 

Hayat Berrada Bousta
Pour Maroc-Réalités